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Sur les traces des premières lignes Pedibus de Suisse

Interview de Monique Corbaz

Lausanne, le 2 juin 2022

5h45. Le réveil sonne à Essertines-sur-Rolle. Bus. Train. J’ai rendez-vous avec Monique Corbaz, personnage emblématique du quartier de Montriond à Lausanne, qui figure parmi les précurseurs des premières lignes Pedibus de Suisse.

7h40. Monique m’accueille chez elle à la rue des Fleurettes pour un café et une interview express. Nous avons peu de temps devant nous, car bientôt Monique est « de piquet » aux passages piétons au bout de la rue pour faire passer en toute sécurité les enfants qui se rendent à pied au collège de Montriond. 

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Comment se sont mises en place les premières lignes Pedibus de Suisse ? 

Le premier Pedibus « officiel » a démarré en avril 1999. Nous organisions déjà des Pedibus informels avec mes trois premiers garçons, mais nous étions plusieurs parents à se faire du souci pour les enfants sur le chemin de l’école. Un jour, il y eut la goutte d’eau qui a fait déborder le vase : un enfant s’est fait shooter par un bus en rentrant de l’école. Heureusement, ce n’était pas grave. Mais il fallait faire quelque chose. A cette époque, mon quatrième fils de 7 ans était concerné. Nous avons écrit une lettre collective de parents à la Ville demandant que la sécurité sur le chemin de l’école soit améliorée.  

La Déléguée à l’enfance de la Ville a organisé une séance d’information-réflexion. Nous étions près de 200 personnes (parents, policiers, urbanistes). Des aménagements ont été proposés : création de passages piétons, élargissement des trottoirs. Malgré cela, nos enfants n’allaient pas se rendre seuls à l’école. Nous avons donc fait circuler un sondage d’intérêt et rapidement nous avons mis en place un système de ramassage scolaire à pied. 

A cette époque, la Ville de Lausanne a assuré la logistique, et nous avons œuvré à trouver des conducteur.trice.s. Les premières lignes Pedibus ont démarré ici, aux Fleurettes, pour desservir le collège de Montriond. Très rapidement ce fut un grand succès, et d’autres lignes Pedibus de rues annexes ont été créées pour desservir cette école.

Quelle est la « recette » du succès des lignes Pedibus ?

Au vu du succès des lignes Pedibus dans le quartier, la Ville m’a engagée comme coordinatrice pour le quartier de Montriond. Assez rapidement, nous avons compté environ 80 conducteur.trice.s et remplaçant.e.s par année, ce qui représente beaucoup de monde. Puis, la Ville a engagé un coordinateur pour l’ensemble des lignes lausannoises, le système du Pedibus ayant fait ses preuves dans d’autres quartiers. Nous étions en désaccord, car pour moi le Pedibus et son organisation, c’est surtout une affaire locale, de gestion de quartier. Nous nous considérions comme bénévoles au service de notre quartier.

Nos enfants ont grandi, les conducteurs.trices n’avaient plus d’enfants scolarisés au collège de Montriond. Il fallait décider de l’avenir des lignes Pedibus de notre quartier : soit le projet continue, d’autres personnes en assurent la relève ; soit tout s’arrête. Nous avons considéré que le meilleur moyen était de créer une association, afin que le système se pérennise dans le cas où de nouvelles personnes s’engageaient et afin que chacun se sente co-responsable. 

Le but est donc d’inviter les familles à participer au Pedibus. Aujourd’hui, un courrier de la Ville de Lausanne informe les familles concernées de l’existence du Pedibus à Lausanne, y compris Montriond. Ce qui fonctionne très bien, c’est notre présence avec un stand devant l’école toute la journée de la rentrée scolaire. Nous informons les parents et récoltons leurs coordonnées s’ils se montrent intéressés. Puis nous les recontactons ou ils viennent à la séance d’information que nous organisons chaque année dans les jours qui suivent la rentrée scolaire. 

Au travers du Pedibus, assez vite, des liens se tissent dans le quartier. Les gens apprennent à se connaître et d’autres projets se mettent en place. Les nouvelles familles rejoignent les lignes déjà existantes ou en créent de nouvelles. Des fois une ligne s’arrête. C’est fluctuant, cyclique. Les familles restent généralement dans leur quartier, les enfants grandissent. Maintenant on commence presque à avoir les premiers enfants qui ont profité du Pedibus à ses débuts qui conduisent des lignes. Aujourd’hui encore, nous avons environ 80 personnes, conducteur.trice.s et remplaçant.e.s. Les parents principalement conduisent les lignes, mais aussi quelques retraités habitants du quartier et des grands-parents occasionnellement. 

Pourquoi la sécurité et la sociabilité caractérisent le chemin de l’école à pied ?

L’apprentissage du bon comportement sur la route est très important pour faire le trajet à pied vers l’école en toute sécurité. Les plus petits sont accompagnés par un ou plusieurs adultes avec le Pedibus, et plus tard ils cheminent seuls. Afin d’assurer leur sécurité, l’équipe Pedibus de Montriond a mis en place un service de « piquet » aux carrefours dangereux. Nous leur donnons des informations concrètes : longe ce mur plutôt de ce côté de façon à ce que tu sois visible pour les voitures ; regarde là, que peux-tu observer ? le conducteur a le soleil en face de lui, il est ébloui et te vois moins bien, penses-y ; on entend un véhicule prioritaire, il faut s’arrêter. C’est un apprentissage au quotidien. À force de le faire, nous avons acquis des compétences sur le contenu à transmettre en fonction de l’environnement et comment le transmettre. Cela permet aux enfants de devenir autonomes. 

Un enfant chemine rarement seul. Les enfants autonomes viennent par grappe et ceux des lignes Pedibus cheminent tous ensemble. Les liens entre les gens caractérisent l’histoire du Pedibus. Pour moi, c’est très important et c’est ce qui m’intéresse le plus. Cela débouche sur d’autres choses, d’autres projets. Cette configuration a permis à l’association d’être active par rapport à des demandes d’aménagement pour augmenter la sécurité. Nous avons notamment fait une convention avec les CFF pour que les cheminements piétons des personnes les plus vulnérables, dont les enfants, soient sécurisés durant les travaux de l’agrandissement de la gare. Cela nous donne aussi l’occasion d’être en lien et de collaborer avec l’Association transports et environnement. 

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8h05. Le réveil sonne dans le salon de Monique Corbaz. Il est temps de revêtir le gilet ATE Pedibus orange. Nous nous rendons aux passages piétons de la rue du Mont d’Or et de l’Avenue de Milan. Un panneau Pedibus voit passer les enfants qui se rendent seuls à pied à l’école. Monique Corbaz les accompagne dans le processus, mais ils s’arrêtent par eux-mêmes, regardent à droite puis à gauche, écoutent, puis traversent. Elle ne manque pas de leur rappeler les règles. Je vois son plaisir à accompagner ces jeunes têtes dans leur apprentissage des codes de la route ; elle les appelle par leur prénom ; ils se font signe, échangent des paroles amicales. Plusieurs lignes Pedibus passent par ce chemin. Je me joins à la ligne des Fleurettes.

08h25. Nous arrivons devant le collège de Montriond où grouillent une centaine d’élèves de 1 à 6 P. Après la sonnerie, plus personne dans la cour. Monique Corbaz me rejoint. Contre le mur de l’école, cinq panneaux Pedibus à « l’esthétique Montriond » peuvent se reposer jusqu’à 11h30. Rendez-vous à la pause de midi. Et après plus de vingt ans, Monique Corbaz est toujours là.